Les archives du centre Suriyakantha contribuent à la campagne de restauration du Temple de la Dent de Kandy

01 décembre 2022

Les archives du centre Suriyakantha contribuent à la campagne de restauration du Temple de la Dent de Kandy
Par Janaka Samarakoon

Début 1998, le Temple de la Dent, haut lieu de la culture bouddhique au Sri Lanka, fait l’objet d’un attentat terroriste. Inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité, le site est assailli par les Tigres, une organisation qui lutte, entre 1983 et 2009, au Nord et à l’Est du Sri Lanka pour la création d’un État tamoul indépendant.

Le 25 janvier 1998, trois « Tigres noirs », ces redoutables machines à tuer, spécialement entraînés aux attaques-suicides, lancent un camion bourré d'explosifs contre l’entrée du Temple de la Dent, faisant au moins 25 morts et de nombreux blessés, et défigurant l’édifice religieux. Les fragiles peintures murales, les sculptures en bois et en pierre et autres éléments architecturaux datant de l’ère kandyenne subissent des dégâts irrévocables. Un chantier de restauration de plusieurs années s'ensuivit, mobilisant des centaines d’intervenants : architectes, ingénieurs, artistes et artisans.

[Photo] L'entrée du Temple de la Dent, vue dans une publication de l'archéologue anglais Arthur Maurice Hocart (1883-1939), parue aux début des années 1930. L'escalier comprenant cinq marches, sans compter celle, plus petite, faisant partie de la « pierre de lune », devait rester dans cette topographie jusqu'à l'attentat terroriste survenu en 1998. Image courtesy: Suriyakantha Centre for Art & Culture 

En dépit de sa structure granitique, l’entrée principale, où le camion s'écrase, enregistre d’importants dégâts. L’entrée était composée d’une « Pierre de lune » — cet emblématique élément architectural symbolisant le cycle du samsara et qui marque l’entrée d’une enceinte sacrée —, de cinq marches, de deux éléphants en bas-reliefs et enfin d’une entrée monumentale, composée de trois arcs et évoquant les arcs de triomphe de la culture gréco-romaine. C'est le fameux « Mahawahalkada ».

Vidya Jyothi Gemunu Silva (1943-2021), ingénieur sri-lankais, accompagné du Professeur Chandra Wickrama Gamage, historien local de renom, dirigea les équipes chargées de restaurer cette partie de l’édifice. Dans le Comité de surveillance de ce vaste projet  figurait bien entendu Niranjan Wijerathne, le Gardien séculier du Temple. Ce dernier était une connaissance personnelle de Jacques Soulié et de Rohan de Silva, dont le fonds d’objets d’art, d’artefacts, d’archives diverses et d’ouvrages, pour la plupart collectionnés en Europe, devait être à l’origine,15 ans plus tard, du centre Suriyakantha tel qu’on le connaît aujourd’hui. 

 

Photo de l'entrée du Temple de la Dent par John Rhoden (John W. Rhoden, 1918-2001), datant de 1953. Pas de différence topographique notable par rapport à la photo des années 1930 vue ci-dessus.

Ainsi, lors d’une rencontre informelle, Jacques Soulié et Rohan de Silva sont informés de certaines difficultés que les équipes de restauration rencontrent dans la remise en état de l’entrée principale du Temple. Référence est faite à un album photographique de leur collection, contenant une série de tirages « albuminés » représentant le Temple de la Dent. Il s’agissait de photographies prises dans les années 1880-1890 par deux Anglais, William Louis Henry Skeen (1847–1903) et Charles Thomas Scowen (1852–1948), selon un procédé photographique que l’on doit à Louis Désiré Blanquart-Evrard et qui était en vogue à la deuxième moitié du XIXe siècle.

Aussitôt, une équipe de techniciens pilotée par Gemunu Silva débarque à la résidence du Dr Soulié, située à une dizaine de kilomètres du chantier, pour recueillir les éléments susceptibles d'éclairer le travail des restaurateurs. Coup de théâtre ! On découvre alors, que d’origine — ou, du moins, en son état de fin XIXe, c'est-à-dire, avant les travaux urbanistiques entrepris au cours du XXe siècle avec plus ou moins de scrupules scientifiques ou artistiques —, l’entrée comportait non pas cinq mais six marches ! Les travaux d'embellissement de la chaussée en auraient-ils englouti une ?

 

L'Entrée du temple de la Dent, Kandy (Ceylan), vers 1880-90, tirage argentique à l'albumine, Scowen & Co. La « pierre de lune » et la petite marche en était partie intégrante n'est pas visible dans cette image, prise par le photographe anglais. Seraient-elle ensevelies sous le sable au point de disparaître ? Or, sans compter cet élément décoratif, l'escalier est composé de six marches de taille plus ou moins égale. L'une d'entre elles disparaîtra dans les années à venir, comme on peut le constater sur les photos ultérieures. Quand et comment ? Image courtesy: Suriyakantha Centre for Art & Culture

La nouvelle campagne de restauration de 1998 corrige alors cette anomalie architecturale survenue tardivement. L’entrée principale ainsi reconstruite compte aujourd'hui ses six marches d’origine. Par ailleurs, les bas-reliefs reconstitués s’inspirent principalement des ces mêmes tirages, précieusement conservés à Suriyakantha.

C’est ainsi que, par une heureuse 'sérendipité', quelques tirages d’une technologie révolue, réalisés à Kandy et mis en circulation il y a plus de 100 ans par deux Anglais et acquis dans les années 1980 par un Français, deux décades avant l’attentat, reviennent à Kandy pour contribuer à la campagne de restauration qui devait rendre au site sacré son éclat d’antan.

 

L'entrée actuelle, reconstruite après l'attentat terroriste, comporte bien ses six marches « d'origine », vues dans le document de Scowen, lesquelles sont précédées de la « pierre de lune ». © Sri Dalada Maligawa
Cet article est  inspiré d’une interview donnée par Gemunu Silva au journal sri-lankais “Mawubima” le 6 juillet 2014 et d'un récent témoignage du Dr Jacques Soulié, directeur du Suriyakantha Centre for Art & Culture.