29 janvier 2024
L'exposition photographique "A Whisper in The Soul" s'inscrit dans le cadre de l'événement commémoratif de Thomas Merton, "Méditer avec les Lucioles", organisé par le Centre Suriyakantha pour l'Art et la Culture et curaté par le Dr Jacques Soulié. L'ouverture de l'exposition aura lieu le 2 février 2024 et sera suivie d'une soirée culturelle comprenant des récitals en direct et une projection multimédia.
Pour Jacques Soulié, l’artisan à l’origine de cet événement commémoratif, Thomas Merton est « un livre découvert sur un étal de livres au bord de la Seine » qui lui ferait découvrir un compagnon de vie spitiruel. Pour moi, le moine américain est celui qui finalement me libérerait de mes réserves inconditionnelles envers toutes choses religieuses.
Cela fait quelques années que mon ami Jacques [Dr Jacques Soulié, Directeur du Centre culturel Suriyakantha NDLR] me parle de ce moine américain, né, comme lui, dans le Sud-Ouest français. Au début, en bon agnostique dédaigneux de toute forme de mysticisme, plus que le moine cistercien lui-même, la fascination que celui-ci exerçait chez Jacques m’intriguait… Dans un article écrit sur ce sujet pour le site Suriyakantha, je mets en parallèle la vie de Merton et celle de Jacques, tous deux assoiffés de l’Autre, de l’ailleurs, les deux fantasmant une possible synthèse de l’Orient et de l’Occident, spirituelle, heureuse. L’article en question poursuivait : « Dans deux biographies fantasmées, on imagine volontiers les deux hommes, assis, sur un banc sur les rives du Tarn ou dans une courette à Saint Antonin, en train d’échanger passionnément sur un sujet aussi improbable que le Sri Lanka ou la spiritualité teintée du bouddhisme de ce pays lointain… »
La proposition du présent récit photographique provençal est venue de Jacques. Un petit cadeau qu’il m’avait concocté… Ah, la Provence ! Terre initiatique pour moi… Deux semaines de mon été 2000… récompense pour avoir remporté un concours de poésie organisé par le réseau Alliance française dont je fus, jadis, étudiant. Il s’agissait aussi de mon tout premier voyage en dehors de mon île natale.
J’en suis revenu transformé.
La Provence fut ainsi mon premier contact physique avec la France, la civilisation méditerranéenne, avec l’Occident. Dès cette expérience fondatrice, la Provence a représenté pour moi un espace géographique et mental privilégié. Le nom de cette région, incarné par deux syllabes resserrées, Pro-Vence, dont la prononciation susurrante provoque un mouvement labial sensuel, intime ; un P majuscule majestueux comme la Sainte Victoire, un V central qui enferme en son creux une source intarissable de bonheur terrestre, un C final doucereux, secret… Son nom pour moi est un sésame pour un Paradis perdu, réminiscent de fugaces instants d’éternité. Sa sonorité est un refrain languissant, une formule magique.
Cette expédition photographique me donnait un prétexte pour aller me jeter une nouvelle fois dans les bras de ma chère Provence !
Ah, la Provence ! Terre initiatique pour moi… Deux semaines de mon été 2000… récompense pour avoir remporté un concours de poésie organisé par le réseau Alliance française dont je fus, jadis, étudiant. Il s’agissait aussi de mon tout premier voyage en dehors de mon île natale.
J’en suis revenu transformé.
J’ai attendu l’hiver pour entreprendre l’expédition. Venant d’éblouissants tropiques, je cultive un véritable tropisme pour la saison froide. Le paysage hivernal est, pour moi, d’un minimalisme savant. Le soleil bas, bienveillant de discrétion, me choie d’une lumière soyeuse. Mielleuse à souhait, tant par sa couleur que par sa qualité, la lumière hivernale nuance sans aplatir. C’est cette lumière-là que je suis allé capter en Provence. Cette lumière latérale, presque horizontale, réveille particulièrement la texture de la pierre nue et en fait vibrer chaque aspérité, autant de preuves tangibles de la vie de ces sages qui ont traversé les siècles. Libérées de la foule estivale surexcitée, les abbayes se reposent en hiver. Là, le temps reprend son cours et le travail là où les hommes, les moines bâtisseurs, l’ont arrêté voici presque un millénaire. Dans le silence, d’une mobilité apparente, l’ensemble devient à nouveau cette unité organique, communiant avec les éléments et se laissant façonner par le cycle des saisons.
L’architecture cistercienne est un programme philosophique. Celui-ci répond aux principes de vie de l’ordre monacal fondé en 547 par Benoît de Nursie. Ils ont pour maxime pauvreté, simplicité et respect de la Règle de Saint-Benoît. Lorsque les cisterciens optèrent pour la construction en pierre, ils adoptèrent systématiquement un plan, une technique et une exécution uniformes. Bien que le plan des abbayes cisterciennes reflète celui des abbayes bénédictines qui les ont précédées, les caractéristiques distinctives de leur architecture résultent de leur choix de simplification, surtout appliqué aux églises. Elles sont construites avec des pierres nues, mais agencées avec le plus grand soin. Les surfaces sont dépourvues de tout élément décoratif tel que peinture, sculpture, tenture ou mobilier superflu, présente une voûte en berceau brisé intégral, sans ajout d’étages, de tribunes, d’arcades ou de corniches. C’est simple, direct et évident comme un chant grégorien. Les principes de la musique sacrée, que formulera Pie X, dans sa fameuse encyclique Musicae Sacrae Disciplina, semblent refléter l’art cistercien : sainteté, vérité de l’art et universalité.
Tout en étant romanes, les églises cisterciennes demeurent, grâce à l’utilisation de l’arc brisé, systématisé au tournant de l’an 1 000, des édifices imposants. La nef souvent unique, sans bas côtés, s’élance vers des hauteurs impressionnantes. Par cette simplicité imposante, ces espaces presque intimidants, l’église cistercienne qui vous place nez à nez avec l’indicible, l’invisible et l’infini semble suggérer l’omnipotence des forces qui vous dépassent — quelle que soit la définition que vous leur accolez. C’est un dispositif qui induit humilité, silence, contemplation et introspection.
C’est cet esprit cistercien, aussi immatériel qu’un reflet de vitraux, projeté sur la dalle en pierre, que j’ai essayé de capter à travers mon objectif.
Dans ces espaces austères, devant ce presque « rien » — une notion partagée à la fois par le Christianisme et le Bouddhisme — je n’ai pas vu de présence divine. Mais si jamais je devais la poursuivre, je sais maintenant où chercher.
05 janvier 2024
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